À propos des Value Streams et des Value Chains

Value streams vs Value chains

Il y a quelques semaines, je donnais une formation SAFe à un public exécutif, et plusieurs d’entre eux connaissaient déjà le terme de chaîne de valeur. Heureux de pouvoir passer rapidement sur cette section, j’ai été surpris quand l’un d’eux a dessiné une chaîne de valeur de Michael Porter au tableau. C’est une confusion courante : en français, « Value Chain » et « Value Stream » se traduisent souvent de la même manière, mais leurs objectifs et origines diffèrent nettement.

 

Value Chain

Michael Porter utilise le concept de Value Chain pour compléter sa réflexion sur le positionnement stratégique des entreprises. Selon Porter, une entreprise doit choisir de concurrencer soit par une domination par les coûts, soit par la différenciation de ses produits. Porter évoque aussi le focus, c’est-à-dire la segmentation, qui permet d’offrir un produit à bas prix, ou hautement différencié à une population spécifique. Ceci a pour but maintenir l’avantage concurrentiel de l’entreprise en vendant un produit similaire à la concurrence avec de meilleures marges ou à l’inverse, un produit hautement différencié à un prix plus élevé. Ces stratégies sont souvent opposées, car il est difficile de les appliquer simultanément ou de les maintenir en même temps dans la durée.

La chaîne de valeur est un moyen d’analyser de manière holistique l’ensemble des activités d’une unité d’affaires et de ses fournisseurs à la lumière de la stratégie choisie par l’entreprise. Elle décrit l’ensemble des activités qu’une entreprise réalise pour apporter ses produits ou ses services de leur conception jusqu’à leur livraison, voire au-delà. La chaîne de valeur inclut par exemple la conception, la production, les flux logistiques, le marketing, la distribution et le support des produits. Chaque étape de la chaîne ajoute de la valeur aux produits ou aux services de l’entreprise.

La chaîne de valeur décompose une entreprise en ses activités stratégiquement pertinentes afin de comprendre la structure des coûts et les sources existantes et potentielles de différenciation. Une entreprise obtient un avantage concurrentiel en réalisant ces activités stratégiquement importantes à moindre coût ou mieux que ses concurrents. Michael Porter, Competitive Advantage, p. 33

La chaîne de valeur générique

Le modèle de chaîne de valeur permet de prendre des décisions structurantes et cohérentes pour telle ou telle activité, pour en diminuer les coûts de production ou pour augmenter les leviers de différenciation. Le but de cette analyse est d’assurer le bon positionnement stratégique de l’entreprise sur le long terme.

Value Stream

Le Value Stream représente toutes les étapes nécessaires pour amener un produit ou un service de sa conception à son client, « from concept to cash« , comme dirait Mary Poppendieck. Il se concentre sur les personnes, le flux de matériaux et d’informations requis pour fournir un produit ou un service à un client, qu’il soit interne ou externe. Son objectif est aussi de donner une vision holistique de la création de valeur, permettant ainsi de réduire l’impact des silos fonctionnels qui limitent le flux (flow en anglais).

Ce concept trouve son origine dans la gestion du flux de matériel et d’information du Toyota Production System et il a été grandement popularisé par le livre Lean Thinking dont on a parlé précédemment. Son but est de créer plus de valeur pour les clients, le plus rapidement avec le moins de gaspillage en optimisant le flux de réalisation d’un produit ou d’un service.

Un Value Stream Opérationnel (OVS) soutenu par deux Value Stream de développement (DVS)

Le Value Stream Mapping (la cartographie du flux de valeur) est l’outil privilégié afin d’optimiser le flux de livraison de valeur en analysant la suite d’activités participant à la création de valeur. SAFe reprend les principes du Value Stream Management (la gestion du flux de valeur) pour s’assurer d’organiser les équipes de réalisation autours des flux de valeur et ce, pour en optimiser le flux de livraison.

Un exemple de Cartographie de Flux de valeur (Value Stream Mapping)

James P. Womack et Daniel T. John résument ainsi les différence entre ces deux concepts :

Certains lecteurs peuvent être initialement confus quant à la différence entre Value Stream et Value Chain employés par les stratèges d’affaires, suite aux travaux de Michael Porter. (…) Les différences sont très simples. Nous appliquons le terme Value Stream à l’ensemble des activités allant de la matière première au produit fini pour un produit spécifique, et nous cherchons à optimiser l’ensemble du point de vue du client final (le consommateur ultime du bien ou du service). L’analyse stratégique typique de la Value Chain agrège des activités telles que « production », « marketing », « ventes » pour une gamme de produits et examine ce qu’une entreprise peut faire pour maximiser ses profits et comment elle peut orchestrer les activités réalisées par d’autres entreprises tout au long de la Value Chain pour en tirer le meilleur avantage. – Lean Thinking, p. 355.

Chaîne de valeur ou Flux de valeur ?

La chaîne de valeur est utilisée pour décrire les activités impliquées dans le positionnement stratégique de l’entreprise afin de créer des produits plus ou moins coûteux, différenciés et segmentés. C’est d’abord un outil qui contribue à l’analyse stratégique de l’entreprise ou de l’unité d’affaires dans son environnement concurrentiel.

Le flux de valeur est utilisé pour décrire les activités impliquées dans le flux de création de valeur dans la livraison d’un produit ou d’un service pour un client, afin d’identifier et d’éliminer les gaspillages et de briser les silos. C’est un outil d’analyse et d’optimisation opérationnelle.

« En utilisant le flux de valeur pour optimiser chaque étape de la production et réduire les gaspillages, tout en appliquant l’analyse de la chaîne de valeur pour examiner les activités stratégiques et identifier les sources de différenciation ou de réduction des coûts, une entreprise peut simultanément améliorer son efficacité opérationnelle et renforcer sa position stratégique sur le marché. »

Quelques références :

James P. Womack et Daniel T. Jones, Lean Thinking: Banish Waste and Create Wealth in Your Corporation, 1996, deuxième édition, 2003

Mary & Tom Poppendieck, Implementing Lean Software Development: From Concept to Cash, 2006

Michael E. Porter, Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, 1986

Taichi Ohno, Toyota Production System, Beyond Large-Scale Production, 1988

Value Stream Management, https://scaledagileframework.com/value-stream-management/

 

Article rédigé par Etienne LAVERDIÈRE